Rencontre avec le chef étoilé Jérémy Galvan à Lyon : "Grisant d'arriver à amener une carotte à un niveau de caviar"

Rencontre avec le chef étoilé Jérémy Galvan à Lyon : "Grisant d'arriver à amener une carotte à un niveau de caviar"
Le chef étoilé lyonnais Jérémy Galvan - toutes photos © Laurent Dupont

Il est à la tête de l'un des trois établissements qui font de la rue du Bœuf, dans le Vieux Lyon, la plus étoilée de France. À bientôt 40 ans, une étoile, Jérémy Galvan propose une cuisine tirée du terroir local, qu'il va magnifier jusqu'à la transformer en véritable expérience sensorielle (portrait initialement paru dans le cahier Lyon Restaurants dans LyonMag n°188 - Mars 2023).

"Dans mes deux familles, pied-noir espagnole et paysanne, les garçons n'avaient rien à faire en cuisine. Mais j'ai toujours baigné dans un environnement très proche de la nourriture et des repas de famille. Tous les dimanches, il y avait de grandes tablées, mes grand-mères cuisinaient énormément. Dès 7 heures du matin, on sentait le parfum de la cuisine en permanence".

Si Jérémy Galvan, originaire de Haute-Savoie, a gardé de son enfance la nostalgie des odeurs, il a aussi commencé le métier très jeune. Après un parcours scolaire qu'il qualifie volontiers de "chaotique", ponctué d'échecs, de manque de travail et même, aux premières années du collège, d'accès de violence qui le mèneront en maison familiale, le jeune "hypersensible" débute à l'adolescence un CAP de cuisine, un peu par hasard, "en suivant un copain".

L 'apprenti de 15 ans entre dans une belle institution, chez Bernard Lantelme, à Saint-Alban-de-Roche dans l'Isère. Mais le chef, "qui est devenu un ami depuis", est très dur, l'ambiance militaire, marquée de cris et de remontrances : "Les six premiers mois ont été catastrophiques, je pleurais tous les soirs".

Pourtant, le jeune homme commence peu à peu "à découvrir la beauté et le plaisir du métier". À 17 ans, diplôme en poche, Jérémy Galvan arrive seul à Lyon - qu'il ne quittera plus - et intègre Léon de Lyon, 2 étoiles à l'époque, dont "l'humanité (lui) faisait envie". Puis, les maisons s'enchaînent : il travaille chez Christian Lherm (L'Arc en Ciel), Philippe Chavent (La Tour Rose), Alain Alexanian (L'Alexandrin) et enfin avec Joseph Viola (Daniel et Denise).

Sublimer les éléments et la simplicité

Ce tourbillon culinaire s'achève en 2011, rue du Bœuf, dans l'établissement où il travaillait depuis un an, qu'il rachète et auquel il donne son nom. L'aventure Jérémy Galvan commence. Le succès est vite au rendez-vous et six ans plus tard, le chef décroche sa première étoile. Un objectif ou un processus naturel ? "Au début, c'était une quête, je ne pensais qu'à ça. Jusqu'au jour où j'ai compris qu'il ne fallait pas que je prenne ce chemin, car c'était le mauvais. Il y en a qui y ont laissé leur vie. J'essaie de me nourrir de ce que Bernard Loiseau a pu vivre en seulement pensant perdre sa troisième étoile (le célèbre chef de Saulieu s'est suicidé en 2003, ndlr). Aujourd'hui, c'est juste du bonus. Si un jour, j'ai trois étoiles, je serai le plus heureux mais je ne veux pas que soit la vie ou la mort".

Le chef est donc plutôt serein à l'approche de la sortie de l'édition 2023 du Guide Michelin, le 6 mars, et de son verdict étoilé (son étoile a été confirmée depuis notre entretien par le Guide Michelin ndlr).

Son restaurant est relativement petit (une trentaine de couverts), composé de deux salles, au design très soigné mais aux atmosphères différentes : la première, "terre/feu", avec ses pierres inspire la chaleur, la seconde, "eau/air", d'un bleu sombre évoque la profondeurs des mers. Jérémy Galvan souhaitait matérialiser ces quatre éléments "sans lesquels on ne peut vivre" et les mettre au service de sa créativité. Ils correspondent ainsi aux premiers mets que l'on peut déguster : l'air, avec un nuage de sucre composé de foie gras à la harissa ; l'eau par des capsules qui éclatent en bouche ; le feu via une tartelette de carottes fumées et d'œufs de truite au charbon ; la terre et des truffes de fromage enrobées de panure végétale.

Pas de carte ni de menu chez Galvan ; ces préliminaires sont l'introduction des huit séquences, composées de vingt-deux créations, élaborées pour la plupart à partir du terroir lyonnais, le chef ne travaillant qu'avec des producteurs locaux : "Notre travail de cuisinier, c'est de mettre en valeur notre territoire et les acteurs qui produisent ces produits". En tant que "locavore", Jérémy Galvan aime sublimer les aliments simples : "Pour moi, la carotte n'est pas moins noble que le caviar. C'est beaucoup plus grisant d'arriver à amener une carotte à un niveau de caviar que d'ouvrir et servir une boîte".

Une invitation au "lâcher-prise"

Le chef confie d'ailleurs ne pas avoir de plat signature et renouvelle les huit séquences tous les deux mois : "En 11 ans, je n'ai jamais remis un plat. Ma cuisine est en permanence en mouvement". Formé à l'autohypnose, Jérémy Galvan se définit comme un "hyper créatif intuitif" qui puise son inspiration dans son environnement. "Ça peut être tellement aléatoire", explique-t-il en évoquant un dessert épinard-citron-chèvre : "Je ne pars pas jamais sur des associations, mais sur les notes du produit. L'épinard a une légère amertume que j'ai tenté de contrer en réalisant une meringue. J'ai cherché le citron pour la touche d'acidité et de légèreté, puis le lait de chèvre pour amener la gourmandise".

Un moment avec ses enfants, "le souvenir d'une émotion liée à une musique ou de l'art" entrent aussi dans son processus créatif, "mais la majorité du temps, c'est lié à la nature". Le chef aime se balader en forêt et répète souvent à ses collaborateurs que "les assiettes ici, ce n'est pas de la géométrie. L'imperfection de la nature est bien plus belle et plus forte que le contrôle de l'homme".

C'est sans doute ce parti-pris qui le conduit à offrir à sa clientèle une dégustation portée par "l'expérience sensorielle" : "Il y a une colonne vertébrale qui écrit la manière dont on a envie de vous faire vivre le moment". Ainsi, chacune des huit séquences sollicite un sens. À un moment donné, vous mangez avec un casque sur les oreilles pour vous emmener par l'ouï dans les bois. À un autre, on vous ramène à l'état primitif, en mangeant avec une lance et les doigts autour d'un travail sur les herbes sauvages et la viande crue.

Autre spécificité chez Jérémy Galvan, on ne présente pas les créations "afin de vous laisser uniquement avec la sensation qui vous amènera les émotions. On est juste dans le moment présent. Quand on part de la sensation, il se passe des choses que l'on ne maîtrise pas".

On comprend alors la notion de "lâcher-prise" que le chef a choisi pour nommer sa sélection de dégustations. Mais ce "lâcher-prise", n'est-il pas finalement le sien ? "Oui, ça parle de moi. Mon métier, c'est comme une thérapie parallèle. En 2003, j'ai rencontré mon épouse, qui est comédienne, et avec elle j'ai découvert le milieu artistique et la liberté de ces gens. Ce fut un déclic, et même s'il m'a fallu, quand je me suis installé, 4 ans pour décharger mon sac à dos et comprendre mon fonctionnement, je voulais voir mon métier comme ça".

D.S.

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