Rencontre avec la cheffe Emily Dader à Lyon : "Enormément de choses à inventer dans la cuisine végétale"

Rencontre avec la cheffe Emily Dader à Lyon : "Enormément de choses à inventer dans la cuisine végétale"
Emily Dader - LyonMag

Voilà deux ans et demi que la jeune cheffe a repris les commandes de la cuisine des Mauvaises Herbes. Une cuisine végétale, sans chichi. C’est la promesse d’Emily Dader, passée par les plus grands étoilés de la région (portrait initialement paru dans le cahier Lyon Restaurants dans LyonMag - Avril 2023).

C’est à l’Institut Paul Bocuse que la jeune Iséroise a fait ses armes. Native de Grenoble, Emily Dader ne met pas longtemps avant de revenir travailler dans ses montagnes : "J’ai eu envie de parcourir les restaurants étoilés de la région montagnarde. J’y suis très attachée et cela m’appelait".

La cheffe commence à faire le tour des établissements de renoms, en poussant la porte du Flocon de sel, restaurant trois étoiles au guide Michelin, à Megève. Elle restera deux ans et demi à travailler aux côtés du chef Emmanuel Renaut, qui est aussi Meilleur Ouvrier de France. Emily enchaîne avec une saison à Talloires, au bord du lac d’Annecy, à l’Auberge du Père Bise qui comptait alors une étoile. Puis direction Courchevel dans un deux étoiles, avant de quitter ses montagnes pour mettre le cap sur Nice où la jeune femme rejoint un restaurant une étoile.

C’est après son expérience sur la Côte d’Azur qu’Emily décide de changer radicalement ses plans : "J’avais fait beaucoup de cuisine gastronomique française classique et j’ai eu envie de découvrir ce qu’il se passait ailleurs, une envie de voyager, de m’ouvrir aux cuisines du monde". En ligne de mire : la cuisine asiatique, et notamment le Japon. "J’avais cette idée de la cuisine japonaise que ce n’était pas que des
sushis et qu’il y avait un tas de produits et de techniques fascinantes. La culture aussi m’attirait beaucoup."

Son sac à dos chargé sur les épaules, Emily prend la direction de l’Australie, en solitaire. Elle a alors 25 ans. Une étape de transition qui lui
permet de financer son voyage, pendant laquelle elle travaillera six mois dans un restaurant gastronomique vietnamien. "C’était génial, j’ai découvert un nouveau monde. J’ai dû tout réapprendre parce que la cuisine vietnamienne n’avait rien à voir avec tout ce que je connaissais de la cuisine occidentale."

"La cuisine végane stimule énormément ma créativité"

Mais les choses ne se passent pas comme prévu et à cause de la pandémie, la jeune femme est obligée d’écourter son voyage et de rentrer en France au début de l’année 2020. Le projet de mettre les pieds au Japon s’éloigne. Un changement "brutal" pour Emily, qui revient à Lyon à ce moment-là : "Ce retour s’est imposé comme un plan B". Un plan B qui deviendra finalement un plan A. Emily croise le chemin des Mauvaises Herbes, en mettant en ligne son CV. Son patron actuel, Thibault, la contacte et le courant passe bien.

Un tournant s’opère alors dans la carrière de la cheffe : "J’étais issue de ce milieu étoilé, très hiérarchisé, militaire, dur, un peu violent, il faut le reconnaître. En arrivant ici, j’ai vraiment été attirée par le management beaucoup plus humain, avec une petite équipe et moins de pression. On
fait les choses bien, tout est fait maison et réfléchi, mais il n’y a pas de chichi"
.

Malgré cette liberté retrouvée chez Mauvaises Herbes, Emily doit se plier à un grand nombre de contraintes, cuisine végane oblige. "Justement, j’adore le défi que cela représente. D’avoir toutes ces contraintes, ça stimule énormément ma créativité, ça m’oblige à redoubler d’inventivité pour proposer des choses gourmandes et raffinées".

Une créativité nécessaire pour la jeune cheffe, confrontée à une cuisine végétale encore trop stigmatisée selon elle : "Il y a énormément de choses à inventer au niveau des recettes. Il y a très peu de choses disponibles, il a fallu que je fasse beaucoup d’essais, que je me plante aussi
et que j’affine des recettes"
. Derrière ses fourneaux, Emily doit trouver des subterfuges : "Je ne peux pas utiliser de beurre, de crème, de lait de vache, pas d’oeufs en pâtisserie…".

La cheffe prend ainsi les commandes des cuisines de Mauvaises Herbes à la réouverture du restaurant, après six mois de fermeture dû à la pandémie. "J’ai rapidement pu mettre ma patte, je suis partie de zéro, cela a été un avantage", souligne Emily qui est à ce jour accompagnée de trois personnes en cuisine.

Dans son panier, on retrouve du bio, du local et du vrac. Emily Dader se fournit aux supermarchés bio et via quelques fournisseurs. Les fruits et légumes sont acheminés par Biorégion, un relais de producteurs indépendant proposant des produits locaux principalement issus de la région Auvergne Rhône- Alpes, mais aussi par Agriz, un regroupement de producteurs militants qui fonctionnent en circuit court.

Le temps fort de ce mois d’avril, c’était l’arrivée des asperges. "C’est toujours un événement ! C’est aussi la pleine saison de l’ail des ours, ce sont deux produits que j’aime, et j’adore les marier ensemble". Le printemps s’installait petit à petit dans la cuisine d’Emily, qui repense ses plats au gré des saisons : "Je pense faire une polenta croustillante avec un pesto d’ail des ours, quelques légumes nouveaux glacés avec un
jus d’oignons ou un jus navarin"
.

Même si la carte évolue chaque semaine, il y en a bien un que l'on est sûr de retrouver tout au long de l’année au menu des Mauvaises Herbes : le champignon. "C’est réputé pour avoir ce goût umami végétale, qu’on retrouve souvent dans la viande et le poisson, assez rapide. C’est intéressant pour moi de le travailler".

Pour les desserts, la cheffe mise sur les fruits : « J'essaie toujours d’allier fraîcheur et gourmandise ». En avril, on retrouvait à la carte une douceur élaborée par sa seconde en cuisine, inspirée de ses origines algériennes : "Ce sera une pastilla revisitée. Avec la saison des fleurs, elle va travailler l’eau de rose". Pas de miel pour cette recette, mais du sirop d’agave ou du sirop d’érable.

L.D.

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